
Ce phénomène, appelé paradoxe réunionnais, s’explique en partie par une consommation massive concentrée sur une minorité de personnes : 10 % des buveurs consomment 69 % des quantités d’alcool bues à La Réunion. Les quantités consommées par certains buveurs atteignent des niveaux préoccupants : jusqu’à 16 verres standards par jour (112 verres par semaine). Ce qui engendre de lourdes conséquences : surmortalité, recours massif aux urgences et à l’hospitalisation, troubles liés à l’alcoolisation fœtale.
Pour mieux comprendre ces spécificités, l’ARS La Réunion a lancé et financé l’enquête ACMA 974, coordonnée par le Dr Mété (chef du service d’addictologie du CHU), réalisée avec le soutien de l’Observatoire Régional de la Santé et en collaboration avec les acteurs locaux.
Des conséquences alarmantes
La consommation d’alcool a des conséquences graves sur la santé, impactant le « capital santé» de la vie embryonnaire jusqu’au grand âge. Même à faible dose (1,3 g/jour), elle augmente les risques pour la santé. Au-delà de 2 verres par jour pour les femmes et 3 pour les hommes, elle constitue un facteur majeur de cancers (bouche, œsophage, sein, etc.), maladies chroniques (cirrhose, troubles cardiovasculaires, maladies du système nerveux) et troubles psychiques (anxiété, dépression…).
Avec près de 450 décès qui lui sont attribuables en moyenne chaque année, l’alcool est un enjeu de santé publique majeur à La Réunion : taux d’hospitalisation les plus élevés pour troubles liés à l’alcool dans plusieurs secteurs (médecine, chirurgie, obstétrique, soins médicaux et de réadaptation).
Une enquête pour comprendre les réalités de la consommation massive chronique
Les caractéristiques de la consommation d’alcool des réunionnais mettent en évidence une particularité locale : moins de consommateurs, mais des quantités consommées plus importantes. C’est dans ce cadre que l’étude ACMA974 a été lancée.
Elle cible la consommation massive chronique, définie par plus de 42 verres standards par semaine et vise à :
- Décrire les profils et les modes de consommation ;
- Adapter les actions à cette population pour réduire la consommation excessive, faciliter l’accès aux soins et améliorer la prise en charge des patients.
Entre novembre 2023 et août 2024, 200 adultes pris en charge dans des structures de soins addictologiques à La Réunion ont été interrogés. Cette étude apporte un éclairage précis sur les profils de ces consommateurs chroniques, leurs types d’alcools préférés, les contextes de consommation, ainsi que les conséquences sanitaires associées.
Chiffres clés :
Des quantités d’alcool consommées très importantes

Une consommation fortement concentrée parmi une minorité de la population :
les "gros consommateurs" représentent une part disproportionnée de la consommation globale.
Une nette prédominance de l’alcool fort, avec une préférence marquée pour le rhum

Une consommation le plus souvent seul et au domicile

Des difficultés socio-économiques

Un cumul d’événements de vie difficiles, dès l’enfance

Des difficultés socio-judicaires liées à l’alcool

Des troubles mentaux fréquents, des profils polypathologiques

Création d’une Communauté territoriale d’addictologie
À partir du 1er juillet, les professionnels de l’addictologie à La Réunion vont se regrouper au sein d’une Communauté territoriale d’addictologie, portée par le CHU, pour renforcer leur coordination.
Objectif : mieux travailler ensemble pour renforcer la prévention et proposer des parcours d’accompagnement adaptés, mêlant soins de proximité et expertise spécialisée.
Cette nouvelle organisation devra aussi répondre à plusieurs constats soulevés par l’enquête, comme le retard dans l’accès aux soins ou la fréquence importante de troubles psychiatriques associés chez les personnes concernées.
Pour améliorer l’accès aux soins, il est essentiel de soutenir les personnes dans leur démarche, en travaillant main dans la main avec les travailleurs sociaux, les professionnels de santé de ville et les proches.
Face aux besoins en santé mentale, un travail en commun sera mené entre la Communauté territoriale d'addictologie et la Communauté territoriale de santé mentale, notamment autour de la prise en charge des traumatismes psychiques pouvant être la cause d'une addiction à l'alcool.
Poursuite des dispositifs de prise en charge ayant montré un intérêt dans la prise en charge des personnes ayant un trouble sévère de l’usage d’alcool
Le programme Kapab développé par le CHU (plus d’informations sur le site masante.re)
Le développement de l’entraide mutuelle entre anciens consommateurs chroniques.
Afin de renforcer le parcours de soins des personnes souffrant d’addiction, notamment à l’alcool, l’ARS La Réunion soutient la création de groupes d’entraide mutuelle (GEM). Trois GEM ont été financés en 2024 et sont désormais implantés à Saint-Denis, La Possession et Cilaos.
Le programme Une affaire de famille : programme de prévention de la transmission intergénérationnelle
Proposé par Addiction France, le programme « Une affaire de famille » s’adresse à toutes les personnes qui veulent mieux comprendre l’impact de leur histoire familiale sur leur vie actuelle. En aidant chacun à prendre conscience des schémas et des mécanismes qui se répètent, ce programme vise à encourager des changements positifs et à rompre les transmissions familiales nocives d’une génération à l’autre.
Ces résultats permettront de renforcer la prévention ciblée, et de mieux adapter l’offre de soins en addictologie à l’échelle régionale.
Poursuite des travaux sur les interdits protecteurs
Renforcer la protection des publics vulnérables passe également par la création d’un environnement plus encadré en matière de publicité et de vente d’alcool.
Depuis 2022, la préfecture de La Réunion, avec le soutien de la MILDECA, conduit une expérimentation visant à renforcer l’application de la réglementation en collaboration avec les communes et les débitants de boissons (formations, contrôles…).
Dans la continuité de cette démarche, plusieurs actions sont envisagées :
- Le renouvellement de la charte d’engagements avec les professionnels de la filière alcool pour promouvoir une consommation plus responsable ;
- La relance des travaux sur les modalités de calcul des périmètres de protection afin d’en faciliter l’application ;
- L’actualisation de l’arrêté préfectoral de 2019 relatif à la police des débits de boissons, dans un objectif de simplification et d’efficacité.
Relance du groupe de travail fiscalité alcool avec les élus locaux et parlementaires
La faible fiscalité sur l’alcool est identifiée par l’enquête comme un facteur facilitant la consommation, en particulier chez les publics précaires. La relance du groupe de travail sur la fiscalité alcool pourrait être proposée afin de présenter aux élus locaux les mécanismes applicables en matière de fiscalité dérogatoire sur les produits alcoolisés.
Pour rappel, le Conseil départemental s’est déjà prononcé en faveur d’une hausse de cette fiscalité dans une motion adoptée le 28 juin 2023 et la Région a récemment modifié les taux d’octroi de mer en lien avec les alcools importés.
Les addictions ne sont pas une fatalité!
Parlez-en à votre médecin de famille ou à un professionnel de santé en qui vous avez confiance. Il saura vous donner les premières clés pour vous aider à reprendre le contrôle et pourra vous orienter vers des spécialistes des addictions.